Hymne à la liberté

Les frères Râteau ont 77 et 84 ans. Ils vivent aux Rouelles comme y vécurent avant eux leurs aïeux, tous originaires de ce petit coin du Morvan que cernent Moux, Les Gadreys, les Crots de Fonteny. Ils vivent aux Rouelles, jolie colline d’où l’on domine le lac des Settons après que le regard ait embrassé ces plaines, vallons et bois dont les deux frères connaissent les moindres lignes : elles constituent le livre de leur vie. Ils y ont galopé tous les deux, en « sabots de frêne taillés chez nous », cartable et gamelle au dos. Ils y ont inventé mille itinéraires pour l’école, pratiqué chasse aux nids d’oiseaux, cueillette de champignons, taille de coudriers et autres découvertes champêtres : c’était là les sentiers d’une enivrante liberté où tout était possible, sauf arriver en retard à l’école, sauf en revenir trop tard pour aider à la traite des vaches.

Ils ont maintenant 77 et 84 ans. Ils vont ensemble à la pêche, à la chasse, aux obsèques des copains de classe ou autres amis morvandiaux de longue date, « pour honorer ceux qu’on a connus depuis tout petits et accompagner ceux qui restent encore ».

(…)

« Ce serait aujourd’hui que j’aurais 20 ans,
j’entrerais pas dans le métier d’agriculteur,
parce qu’il n’y a plus de liberté !
Même pas celle de vendre un bout de terre qui t’appartient
à quelqu’un qui voudrait venir s’installer ici…
Une terre que tu as travaillée ! » René Râteau.

Y a-t-il de la révolte dans ces propos ? Non, pas vraiment. « Il faut bien accepter que les choses changent. On ne va pas ramener du monde à la campagne. »

« Dieu nous prête un moment les prés et les fontaines
Les grands bois frissonnants, les rocs profonds et sourds
Et les cieux azurés et les lacs et les plaines
Pour y mettre nos cœurs, nos rêves nos amours… »
Victor Hugo. Tristesse d’Olympio.

Pour y mettre aussi, tant que nos forces nous le permettent, le respect de cette Nature que nous aimons. « On est bien ici, c’est beau, dit Maurice avec simplicité. Et puis, on est d’ici tous les quatre. Le René, il passe tous les matins, on échange nos soucis, nos réussites, nos recettes au jardin… Et puis quand même, à notre mesure, on résiste. Par exemple, on n’en avait pas besoin, mais on a acheté un hectare de forêt de feuillus, là, entre nos maisons et le lac. On ne voulait pas se retrouver devant une coupe à blanc qui aurait fait un gros trou dans notre paysage, en attendant que pousse une sapinière de plus. Avec nos moyens à nous, on refuse que le Morvan devienne une sapinière avec une friche autour. 

Allons les Morvandiaux
Chantons la Morvandelle
Les bois les prés les eaux
Et la forêt si belle… (hymne du pays)
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Extrait d’un article paru dans Vents du Morvan 45. Si vous désirez vous procurer ce numéro, cliquez ici ou bien abonnez-vous.

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